Ministère public

MÉDIATION PÉNALE ET PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE
PARADIGMES D’UN NOUVEAU TYPE D’ACTION DU
MINISTERE PUBLIC.1
par Christophe MINCKE assistant de recherche à l’UCL Introduction.
La satellisation des missions du Ministère public, tel est le sujet dont nous avons à traiter. Le phénomène de multiplication des tâches de cette institution a connu une accélération considérable ces cinq dernières années. Nous avons vu s’assouplir les conditions de la transaction pénale, se créer la médiation pénale, s’officialiser le recours aux travaux demander quelle est l’économie réelle des nouvelles lois et si elles peuvent et, si oui, comment elles peuvent être décrites en termes de mutations des modes de contrôle social.
Etant donné le caractère réduit de la contribution que nous sommes amené à faire, nous n’étudierons que la médiation pénale et la procédure accélérée. Notre choix s’est porté sur ces deux dernières pour plusieurs paraissent, à première vue, devoir être radicalement opposées tant dans leurs objectifs que dans leurs modes de fonctionnement. Il nous a donc paru intéressant de les rapprocher pour voir si les apparences ne sont pas trompeuses et si elles n’étaient pas des institutions soeurs. Ensuite, le fait de prendre deux procédures si différentes dans leur texte devrait nous permettre d’avoir une vision relativement large du problème, davantage que si nous avions pris deux ex emples très similaires comme les travaux d’intérêt général aux côtés de la médiation pénale. Enfin, la médiation est peut-être l’instrument d’action du Ministère public qui paraît le plus 1 Le texte qui suit s’inscrit dans le “P rogramme de Recherches socio-économiques p r o s p e c t i v e s ” , mi s e n o e u v r e à l ’ i n i t i a t i v e d e l ’ E t a t b e l g e - S e r v i c e s d u P r e mi e r M i n i s t r e - S e r v i c e s f é d é r a u x d e s a f f a i r e s s c i e n t i f i q u e s , t e c h n i q u e s e t c u l t u r e l l e s , s o u s l a d i r e c t i o n d e M M . C . F i j n a u t e t L . D u p o n t ( K . U . L . ) , M me . F . T u l k e n s ( U . C . L . ) e t M . M . v a n d e K e r c h o v e ( F ac u l t é s u n i v e r s i t a i r e s S a i n t - L o u i s ) . L a r e s p o n s a b i l i t é s c i e n t i f i q u e e s t a s s u mé e p a r s o n inoffensif, c’est ce qui nous a incité à nous poser la question de sa réelle Cette contribution s’articulera en trois parties. Nous verrons d’abord quel est le rêve qui est à la base de chacune des institutions étudiées. Fort logiquement, nous ex aminerons ce qu’en a fait le législateur belge et quelles sont les critiques qui peuvent être formulées à propos de l’état actuel des tex tes. Enfin, nous chercherons à énoncer des pistes de recherche qui devraient permettre d’analyser un mouvement général que les deux procédures étudiées révèlent.
Chapitre I. Du rêve.
Dans cette première partie, nous nous pencherons sur l’idéal que représente chacune des deux institutions que nous allons étudier. Il s’agit de mettre à jour quelques-unes des caractéristiques d’un idéal de chaque procédure telle qu’on les présente. Nous ne prétendons pas qu’il serait souscrivons aux présentations reprises ci-dessous, mais nous voulons montrer vers quoi elles tendent ou devraient tendre, selon les discours §1. La médiation pénale.
La médiation peut être définie comme “un mode de résolution des conflits dans lequel les parties adverses sont mises en présence sous la“surveillance” d’un tiers neutre. Cette procédure doit, en principe,mener à un accord sur la solution à donner au litige 2.” Nous sommes donc en présence d’un processus dont certaines caractéristiques sont essentielles. Nous les regrouperons en deux catégories : d’une part les principes anthropologiques, d’autre part, les buts assignés aux processus A. Principes anthropologiques à la base de la médiation. 2 P . MANDOUX, « Les lois belges du 10 février 1994. », Colloque international « T r a v a i l d ’ i n t é r ê t g é n é r a l e t mé d i a t i o n p é n a l e . S o c i a l i s a t i o n d u p é n a l o u p é n a l i s a t i o n d u s o c i a l ? »., E c o l e d e s s c i e n c e s c r i mi n o l o g i q u e s L é o n C o r n i l , U . L . B . , B r u x e l l e s , 3 a v r i l 1 9 9 6 . ; v . a u s s i : B . B A S T A R D e t L . C A R D I A- V O N E C H E , « L ’ i r r é s i s t i b l e a s c e n s i o n d e l a mé d i a t i o n f a mi l i a l e . », A n n a l e s d e V a u c r e s s o n ., 1 9 8 8 / 2 , n ° 2 9 , p . 1 7 1 ; J . F A G E T , J u s t i c e e t t r a v a i l s o c i a l L e r h i z o me p é n a l ., 1 9 9 2 , E r è s , T o u l o u s e , p . 5 1 & s .
Le premier de ces principes est celui de la responsabilité de la personne humaine. Il s’agit de considérer autrui comme maître de sa destinée et apte à poser par lui-même des choix valables. C’est ce présupposé qui est à la base de la reconnaissance de la capacité des parties de négocier et d’élaborer l’accord qui constitue le but de la Le deux ième principe est celui du respect de l’altérité, de la liberté d’autrui. Il est celui qui permet d’admettre que le contenu de l’accord renferme les éléments que les parties veulent y mettre et organise la situation d’une manière qui leur est propre. Cela implique, si l’on voulait respecter cette vision idéaliste, la renonciation à tout rapport d’autorité.
Si l’on prétend respecter parfaitement l’altérité du délinquant et mettre en oeuvre un processus sans danger comme le disent certains, il n’est pas possible de le faire dans le contex te de rapports d’autorité.
Il faut faire remarquer que nous prenons le concept d’autorité au sens que lui a donné Raz3. Il s’agit de la détermination par quelqu’un des raisons protégées d’autrui. Raz pointe en effet qu’il ex iste un type particulier de raisons pour l’action qui, non seulement justifient un comportement déterminé, mais également rejettent tout ou partie des raisons pour un comportement autre que celui qu’elles déterminent. Ces raisons sont dites protégées en ce qu’elles excluent tout ou partie de leurs concurrentes. L’activité normative pénale au sens classique du terme est donc oeuvre d’autorité : elle impose une conduite, rejette toute déviance par rapport à elle et détermine les raisons protégées On comprendra donc, au vu de cette définition, que l’autorité n’est pas compatible avec l’idéal de la médiation.
Le troisième principe à la base de la médiation est une foi en Cette éthique consiste en un changement de rationalité afin de s’adapter à notre société complex e et individualiste. Pour Habermas , la raison ne permet pas de donner une vision du monde si elle reste comprise dans le sens que lui ont donné les penseurs de la modernité. Il 3 J. RAZ, The Authority of Law. Essay on Law and Morality., 1979, Oxford, Clarendon convient de la comprendre comme analyse pragmatique4. La rationalité devient un discours visant un accord intersubjectivement partagé5, par opposition à l’ancienne acception du terme qui débouchait sur une vérité ex térieure à l’homme et s’imposant à lui. L’universel peut être atteint par la communication des ex périences vécues par les individus. Cette vision fait de la communication le centre de la démocratie en supposant qu’elle se déroule dans un contex te de recherche du bien commun. La parole est à l’ex périence et à la sensibilité personnelles. L’accent est désormais mis sur une procédure permettant de résoudre les problèmes qui se présentent plutôt que sur des règles ayant un contenu fix e et particulier.
Cette conception permet de justifier l’usage de la médiation et lesquelles elle intervient. Il devient par ce biais possible de reconnaître la justesse d’énoncés provenant non pas d’une loi élaborée précédemment par des instances politiques, mais bien d’un processus de discussion réunissant des parties à un litige.
B. Principes à la base de la médiation et concernant les buts des processus de contrôle social . Au-delà de la question de la nature humaine et des possibilités de résoudre les difficultés qui peuvent naître des rapports intersubjectifs, se pose la question de la façon dont la médiation présuppose que l’on envisage les buts des processus de régulation.
La première base de la médiation est le souhait d’un mode de contrôle social basé sur la restauration de l’équilibre perturbé par le fait délictuel plutôt que sur la punition d’un coupable. L’équilibre qui est visé est aussi bien celui des rapports entre la victime et l’auteur des faits que celui de la société perturbée par la transgression. La réintégration par chacun d’une place correcte dans la société est une des raisons d’être du processus. Ce pôle est symbolique dans la mesure où il s’agit de remédier non pas à un état de fait matériel mais à des atteintes morales et psychologiques. Enfin, un troisième équilibre peut être restauré par l’intervention de la médiation : celui de l’individu perturbé qui a commis un fait délictuel et que l’on va pouvoir resocialiser.
4 J. LENOBLE, « Droit et communication : Jürgen Habermas. », La force du droit., P a r i s , E s p r i t , 1 9 9 1 , p . 1 6 8 & s .
Le deux ième objectif idéal de la médiation est la réparation du dommage, matériel cette fois, causé par l’infraction.
Le troisième but est d’évitement. Il s’agit de supprimer l’effet de stigmatisation du délinquant que provoque la justice pénale. La médiation pénale n’a pas pour but de désigner du doigt le coupable.
Enfin, l’accord auquel on doit arriver au terme de la médiation est un accord librement consenti et acceptable par chacun. Cette logique du “tout le monde a gagné” est celle d’un processus agissant au coeur du social avec des méthodes adéquates et non celle du système pénal qui crée un traumatisme en s’immisçant, avec plus ou moins ensemble de considérations nous amène à une conclusion logique : l’intervention du Ministère public dans les processus de médiation devrait être la plus discrète possible. Il est évident que, vu sa position, cette institution représente la coercition, le côté pénal de la société, l’autorité et est, par conséquent, totalement étrangère à un processus tel que celui que nous venons de décrire.
§ 2. La procédure accélérée.
La seconde institution sur laquelle nous allons nous pencher est celle de la procédure accélérée. Il s’agit d’un mode d’action du Ministère public qui, du moins dans son idéal, est à l’opposé de la médiation Outre les principes classiques du procès pénal qu’il ne nous semble pas utile de rappeler ici, il réunit une série de caractéristiques nouvelles, fruit de conceptions particulières de la régulation pénale.
Premièrement, la rapidité est conçue comme une valeur en soi6. Loin d’être au service d’un objectif éthiquement recommandable, elle est, signe des temps s’il en est, valorisée pour elle-même. La vitesse ne saurait être nuisible puisqu’elle est une vertu.
diminuer le temps de réponse du système pénal. Le gouvernement, à la base du projet, semble adopter une vision bien simple du déroulement idéal du procès pénal. Sitôt pris, sitôt puni. Cette démonstration éclatante 6 v. Doc. parl. , Sén., S.E. 1991-1992, 209-2, p. 11 et 13.
de l’ex istence du droit aux yeux du délinquant et de la société est une merveille qui doit restaurer le crédit fortement ébranlé de la justice 7.
glissement des préoccupations de l’efficacité ou de l’effectivité des lois vers leur efficience. L’efficacité traduit la réalisation des objectifs posés par la loi sans aucune considération de coût. L’effectivité, quant à elle, mesure l’utilisation réelle des instruments juridiques par les populations concernées et, dans le cas du droit pénal, l’adéquation des comportements humains aux modèles donnés par le droit. Une loi pourrait être effective (la population se conforme à une obligation de dépistage de maladies infectieuses) et, en même temps, inefficace (ça ne suffit pas à enrayer l’épidémie). L’efficience est un terme d’économie qui recouvre la notion de rapport coût-bénéfice. Le but est de recueillir un gain maximal pour une mise de départ la plus limitée possible. Ce concept n’entraîne aucun jugement sur la valeur éthique des moyens mis en oeuvre, seul le rendement étant pris en considération8.
La procédure accélérée traduit la volonté de faire davantage avec “inutiles”, non rentables. Ainsi les garanties accordées à l’auteur des faits - toujours présumé innocent, même s’il est en aveu - seront elles diminuées, les procédures seront désindividualisées,. Ce dernier élément est particulièrement important dans la mesure où l’on constate un net et logique recul de l’individualisation des procédures quand la rapidité est ex pliquant la hausse de la criminalité par une faiblesse du contrôle social. Le remède à apporter est dès lors un renforcement de celui-ci10.
8 A propos de ces définitions, voir F. OST et M. van de KERCHOVE, Jalons pour une t h é o r i e c r i t i q u e d u d r o i t, B ru x e l l e s , P u b l i c a t i o n s d e s F a c u l t é s u n i v e r s i t a i r e s S a i n t - L o u i s , 1 9 8 7 , p . 2 7 2 & s . ; F . R A N G E O N , “ R é f l e x i o n s s u r l ’ e f f e c t i v i t é d u d r o i t . ” , L e s u s a g e s s o c i a u x d u d r o i t. , P a r i s , P . U . F . , 1 9 8 9 , p . 1 2 6 ; A . J E A M M A U D e t É . S E R V E R I N , “ É v a l u e r l e d r o i t . ” , R e c u e i l D a l l o z - S i r e y , 1 9 9 2 , C h r o n . , p . 2 6 5 .
9 voir A.BOTTOMS, “Neglected Features of Contemporary P enal Systems.”, The P ower t o P u n i s h . C o n t e mp o r a r y P e n a l i t y a n d S o c i a l A n a l ys i s ., D . G A R L A N D e t P . Y O U N G ( d i r . ) , L o n d o n , H e i n e ma n n E d u c a t i o n a l B o o k s , N e w J e r s e y, H u ma n i ti e s P r e s s , 1 9 8 3 , p . 1 6 6 à 2 0 2 .
10 Doc. parl., Sén., S.E. 1991-1992, 209-2, p. 11.
Cette vision des choses est la conséquence de la supposition d’une forte corrélation entre criminalité et modes de traitement des déviances11.
l’institution idéale. En effet, il est souple, mobilise peu de personnel, travaille de manière rapide, s’adapte idéalement aux différentes situations qu’il rencontre, fait preuve d’une autonomie importante,.
Chapitre II. .à la réalité.
Il va s’agir, dans cette partie, d’opérer un retour à la réalité belge.
La médiation pénale du droit belge correspond-elle au modèle que nous avons donné ci-dessus? De son côté, la procédure accélérée est-elle l’affirmative, la situation actuelle est-elle critiquable? § 1. La médiation pénale.
A. Du point de vue de la procédure. La procédure dont la Belgique s’est dotée ne correspond pas, c’est le moins que l’on puisse dire, au rêve qui est à la base de l’idée de Cette procédure revêt deux aspects : d’une part, elle permet au Ministère public de proposer une extinction de l’action publique sous conditions particulières et, d’autre part, de s’entremettre entre l’auteur de Nous partageons l’avis du conseil d’Etat qui ne voit de médiation que dans le deux ième cas. En effet, la première procédure “n’est pas destinée à mettre d’accord des personnes; elle institue seulement de nouveaux cas dans lesquels l’action publique peut s’éteindre grâce à l’accomplissement par l’auteur d’une infraction d’actes qui lui auront été indiqués par le Ministère public.”12 C’est la raison pour laquelle nous ne considérerons que la procédure qui doit permettre de concilier la victime 11 v. à ce sujet T. MATHIESEN, “The Future of Control Systems - the Case of N o r w a y. ” , T h e P o w e r t o P u n i s h . C o n t e mp o r a r y P e n a l i t y a n d S o c i a l A n a l ys i s . , o p . c i t . , p . 1 3 0 12 avis du Conseil d’Etat, Doc.parl., Sén., S. 1992-1993, 652-1, p. 15 & s., n°3.
La première remarque que l’on peut se faire est qu’il n’ex iste pas de médiateur au sens de tiers neutre. Les parties pourront toujours douter de l’impartialité du Ministère public appelé à initier et à contrôler le processus. Il est parfaitement clair que celui-ci est une partie au litige pénal, en tant que représentant de la société et symbole de la répression des infractions pénales. En cas d’échec de la médiation - constaté par le Ministère public - une juridiction pourra être saisie par ce soi-disant médiateur. Dès lors, comment le délinquant pourrait-il considérer cet acteur du procès pénal comme le tiers neutre dont il est question dans la l’assistant de médiation au Ministère public? Ensuite, il faut pointer une autre particularité de la procédure belge avec l’essence même d’une procédure de médiation : l’absence possible de la victime. Ne pouvons-nous pas constater ici une entorse à l’idéal de responsabilité des parties censé sous-tendre la médiation? La représentation pure et simple de la victime par son avocat est contraire à l’idée de restitution aux parties de l’objet En troisième lieu, remarquons qu’il n’est nulle part question de négociation sur le pénal. Les seuls aspects qui peuvent être réglés entre parties sont civils. Il est évident qu’il y a là correspondance avec l’idéal de réparation de la médiation. Il s’agit donc bien d’une médiation - sous réserve des remarques faites ci-dessus - mais elle ne mérite pas le garanties similaires à celles existant dans le cadre du procès pénal14. Tout se passe comme si la médiation pénale était un processus totalement innocent, mené pour le seul bien des parties et dont nul ne saurait sortir 13 Remarquons qu’il ne s’agit pas pour nous de défendre une réelle négociation sur les c o n s é q u e n c e s p é n a l e s d ’ u n a c t e ma i s d e f a i r e u n e r e ma r q u e t e r mi n o l o g i q u e s i mi l a i r e à c e l l e f a i t e p a r l e C o n s e i l d ’ E t a t e t p r e s t e me n t é v a c u é e p a r l e g o u v e r n e me n t ( a v i s d u C o n s e i l d ’ E t a t , l o c . c i t .) ; v . a u s s i : M . v a n d e K E R C H O V E , « M é d i a t i o n p é n a l e e t t r a v a u x d ’ i n t é r ê t g é n é r a l . R é f l e x i o n s e t c o mme n t a i r e s r e l a t i f s a u x l o i s d u 1 0 f é v r i e r 1 9 9 4 . », J . T . , 1 9 9 5 , p . 6 1 14 Où sont les garanties de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegardes des d r o i t s d e l ’ H o mme e t d e s l i b e r t é s f o n d a me n t a l e s , l a s u s p i c i o n l é g i t i me v i s- à - v i s d ’ u n mé d i a t e u r p a r t i a l , l ’ a mé n a g e me n t d e s d é l a i s , l a p r é s o mp t i o n d ’i n n o c e n c e , . . . ? lésé. Lorsque les bases du procès pénal moderne furent établies, lorsque la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales a été adoptée, les auteurs des tex tes agissaient dans le cadre d’une saine méfiance à l’égard de procédures qui pouvaient Aujourd’hui, on pourrait croire que tout va pour le mieux dans le plus pacifique des mondes. Bien entendu, il y a toujours la possibilité de renoncer à la médiation pénale, mais ce serait pour se voir traduit devant une juridiction avec, à la clef, un risque nettement plus grand : échanger un mauvais accord sur les conséquences civiles de l’infraction contre deux condamnations : une au pénal (avec casier judiciaire et tout ce que cela entraîne) et une autre au civil (peut-être tout aussi mauvaise).
Enfin, il faut encore faire remarquer que le Ministère public seul décide de l’opportunité d’une telle procédure. Les parties seraient-elles d’accord sur son principe que la médiation pourrait leur être refusée.
Du strict point de vue de la procédure, les objections que nous venons de formuler sont déjà trop importantes pour que l’on puisse encore admettre que le terme de “médiation” soit utilisé pour désigner l’institution belge qui porte ce nom. Partout nous découvrons l’autorité sous des dehors de négociation. Autorité dont nous avons dit à quel point elle est étrangère à l’idéal de la médiation que nous avons présenté ci- dessus. Il y aurait pourtant encore beaucoup de choses à dire sur les qualification en tant qu’infraction, la détermination des parties au approfondie révèle des rapports d’autorité.
Il faut donc conclure ici à l’absence d’une solution réellement négociée au litige. Il n’est pas possible d’admettre que les buts des procédés de contrôle social censés être à la base de la médiation sont rencontrés ici. Le problème principal, par rapport à ce que nous avons dit dans notre premier chapitre, est qu’il n’y a pas de solution réellement négociée tant est importante la place de l’autorité. Puisqu’il n’ex iste pas de réelle médiation, les objectifs de celle-ci ne peuvent être atteints.
Il n’est cependant pas encore temps de clore le débat. Il nous faut également aborder la question de l’anthropologie effectivement sous- B. Du point de vue de l’anthropologie sous-jacente à la Nous allons ici nous centrer sur une arme de l’autorité qui doit lui permettre de s’ex ercer dans le cadre de la médiation.
Afin que puissent pleinement fonctionner des mécanismes tels que la médiation, il importe que les codes sociaux utilisés soient parfaitement maîtrisés par chacune des parties. Sans cela, ni la réelle compréhension ni l’égalité nécessaires à l’éthique communicationnelle.
communicationnelles en vigueur dans un milieu ou dans un contex te.
Bien entendu, elles ne doivent pas forcément concerner des langages articulés ni même être conscientes, il suffit qu’un type de signe engendre une réaction relativement constante chez un des acteurs du système pour que l’on puisse parler de code. La réaction en question peut être soit un acte conscient qui fait réponse au signe perçu (parole, geste,.), soit une compréhension du comportement ou des intentions de l’interlocuteur permettant d’adapter ses propres réactions. Les codes permettent de décrypter les attentes d’autrui et ses attentes d’attentes.
La médiation, comme toute négociation15, repose sur une habile manipulation des codes pour tirer son épingle du jeu. Aura le plus de chances de l’emporter, celui qui sera capable d’utiliser à son avantage les intégration sociale et un bon « feeling » des divers comportements à adopter en présence d’interlocuteurs différents seront importants. De ce fait, un problème affectif, relationnel, d’insertion sociale ou culturelle Or, les populations aux quelles la médiation pénale est censée s’appliquer ne sont pas à proprement parler les couches favorisées de la société. Ce sont souvent des individus en rupture de ban, en marge de la société qui traduisent leur malaise dans la petite délinquance. Ils ne sont pas instruits, n’ont pas été éduqués comme les élites et sont souvent affectivement et relationnellement perturbés. Seront-ils capables des performances que la médiation attend d’eux ? Nous en doutons fortement.
Qui seront les gagnants dans des processus tels que la médiation pénale? Ceux qui seront également les gagnants sur le marché de l’emploi, dans les activités économiques, dans les relations sociales,. en un mot, les 15 Certainement serait-il intéressant de consulter à ce propos des ouvrages de théorie d e l a v e n t e e t d e l a n é g o c i a t i o n d e c o n t r a t s à l ’ u s a g e d e s v e n d e u r s p r o f e s s i o n n e l s .
privilégiés de notre système. Or, sont-ce là les populations qui sombrent dans la petite délinquance? Non, bien entendu. Voilà donc une institution prête à reproduire fidèlement les inégalités présentes dans notre société.
L’on pourrait objecter que le médiateur a pour rôle de palier à ces difficultés. Il subsiste pourtant un problème : le médiateur n’est pas neutre, il n’aura pas la confiance des deux parties.
Nous sommes face à une institution qui ne mérite pas l’appellation de “médiation”. Le rôle du Ministère public y est trop important, symptôme de l’ex ercice d’une autorité. Nous ne serions donc plus dans l’ordre négocié mais bien dans l’ordre intériorisé. Cela signifierait que les parties croient (éventuellement) qu’elles ont décidé alors que leur conclusion est la seule que l’autorité leur ait laissé la possibilité de prendre. L’origine du commandement est extérieure mais ont pourrait (ou voudrait) croire qu’elle se trouve dans les relations entre les parties.
§ 2. La procédure accélérée.
Le cas de la procédure accélérée est opposé à celui de la médiation.
Les objectifs de départ sont - hélas - respectés. Cependant, il nous paraît Premièrement, il conviendrait peut-être de redécouvrir les vertus de raisonnable pour juger d’une affaire, mais une temporalité qui mise sur le mûrissement - à distinguer du pourrissement - des esprits, sur une saine prise de distance par rapport aux événements, sur un retour au calme après l’émotion provoquée par la transgression d’une valeur souvent considérée comme importante. Cette valeur, cette position raisonnable entre l’instantanéité stérile et la lenteur ex aspérante, n’est plus à l’ordre du jour, et c’est regrettable. Il faut faire digérer un maximum d’affaires au système judiciaire quel qu’en soit le coût humain.
Cela nous amène à préconiser la plus grande méfiance à l’égard de concepts tels que l’efficience. Bien entendu, cette préoccupation doit être rencontrée, mais elle n’est qu’accessoire au regard de l’efficacité, de l’effectivité et de la légitimité du système qui ne sauraient lui être Par ailleurs, nous ne pouvons que nous inquiéter de l’évolution qui l’individualisation des mesures prises16. Il nous semble en effet qu’un des grands acquis de notre droit était d’avoir de plus en plus, dans une logique protectionnelle, pris en compte l’individu présent derrière l’acte délictuel. Or, nous assistons à un retour en arrière en cette matière Enfin, nous nous posons la question de savoir dans quelle mesure les garanties données par nos libertés fondamentales peuvent être aménagées - lisez écartées - au nom de la rapidité de la justice. C’est ainsi qu’il est prêté attention, dans le rapport du gouvernement, à “la préservation des intérêts des victimes”18. P our l’auteur des faits, nulle préoccupation, même après qu’un membre de la commission justice du Sénat s’en soit inquiété19. Ne constatons-nous pas là une modification importante des équilibres quand le présumé innocent - qui joue sa liberté et son confort - n’est plus considéré à la fois comme une personne suspecte et comme une victime potentielle de l’arbitraire, mais uniquement comme celui par qui le malheur arrive et dont la condamnation est le seul but? Chapitre
satellisation
missions
Ministère public : le médicament de confort d’une société
malade?

16 Et qui n’est pas à exclure dans les cas de médiation pénale au vu du caractère a u t o r i t a i r e d e l a p r o c é d u r e . N o u s c r o yo n s q u e l e r i s q u e e s t g r a n d q u e l ’ é c o u t e d e c h a c u n e t l ’ i n d i v i d u a l i s a t i o n d e s s o l u t i o n s a i t à s o u f f r i r d ’ u n e s u r c h a r g e d e s s e r v i c e s d e mé d i a t i o n e t d ’ u n e mé c o n n a i s s a n c e , p a r l e s a c t e u r s e u x- mê me s , d e s p r o c e s s u s s o c i a u x e n j e u d a n s c e t t e i n s t i t u t i o n . R a p p e l o n s- n o u s p a r a i l l e u r s q u e l e s r a i s o n s d o n n é e s p a r l e g o u v e r n e me n t à l ’ a d o p t i o n d e s d e u x p r o c é d u r e s s o n t s t r i c t e me n t i d e n t i q u e s , t r a h i s s a n t d e s s i mi l i t u d e s p e u é v i d e n t e s à p r e mi è r e v u e . L ’ a c c e n t e s t mi s a v a n t t o u t s u r l a r a p i d i t é .
l ’ i n d i v i d u a l i s a t i o n e s t t r è s f a i b l e e n r a i s o n d u c a r a c t è r e f a i b l e me n t c o n t r a d i c t o i r e d e s 18 Doc.parl., Sén., S.E., 1991-1992, 209-2, p. 12 & 13.
Quelle est la logique de la satellisation des missions du Ministère public? Nous allons ici proposer des pistes de réflex ion pour répondre à Nous analyserons donc les mutations à l’oeuvre et leur interprétation possible en termes d’évolution des modes de contrôle social.
L’évolution quantitative des modes de contrôle social qui ressort de notre analyse consiste en une augmentation générale du contrôle social.
Cette augmentation découle de l’addition des modes d’action. Il ne nous paraît en effet pas raisonnable de croire que les procédures nouvelles sont des alternatives aux peines ex istantes. En effet, elles ont pour but de proposer une solution en remplacement du classement sans suite, c’est à dire de l’absence de réponse répressive à un acte délictuel.
L’ex emple de la transaction est particulièrement exemplatif de ce qui nous attend. Présentée comme une alternative à l’emprisonnement, elle n’a aucunement eu pour effet de faire baisser le taux d’occupation de nos Les nouvelles missions du Ministère public doivent donc être perçues comme de nouveaux modes de contrôle social ayant leur propre champ d’action. Tout au plus auront-ils un effet de déviation très L’augmentation de l’emprise des agences de contrôle social se produit dans un contex te de fuite en avant. De nouveaux espaces de contrôle intéressent de nouvelles institutions. Le Ministère public envahit ainsi des terres sur lesquelles des autochtones sont établis depuis longtemps. Ce faisant, il pousse ceux-ci à s’aventurer plus avant vers l’intérieur des terres, vers des terra incognita l’ex ploration de nouvelles terres et leur occupation par des institutions peu contrôlables peut pousser l’État à faire avancer encore plus loin ses troupes afin d’augmenter sa maîtrise sur des processus qui lui paraissent utiles à ses fonctions. Le mécanisme est donc circulaire et se nourrit lui - Parallèlement à cela, il importe de remarquer que le projet de société porté par nos institutions s’affaiblit. Il est de moins en moins question de se diriger vers des lendemains qui chantent. Ce qui est à l’ordre du jour, c’est la maîtrise d’un maximum d’éléments perturbateurs de la bonne marche d’un système en place. De ce fait, les stratégies adoptées sont fortement comportementalistes : on parle en termes de gestion et non de resocialisation ou de traitement des difficultés qui sont à la base des problèmes,. Le mouvement, s’il pénètre de plus en plus profondément dans la société, se préoccupe de problèmes de plus en plus superficiels.
Le spectre de phénomènes visés se restreint mais ceux-ci sont traités de également qualitatives. On ne peut en effet régir les nouvelles contrées comme on le faisait jusqu’ici en terre pénale. Il faut donc s’adapter en empruntant des instruments d’action à d’autres secteurs. Ce processus est celui qui a mené à l’augmentation du nombre de modes d’action du Par ailleurs, d’anciennes formes d’action ont été adaptées aux diminuant leur taux de prédétermination et leurs garanties. Ces deux caractères sont en effet des obstacles à une modification continuelle du système et à la rapidité de ses interventions.
Ce mouvement n’est pas sans danger. D’une part, les modes d’action ainsi empruntés sont le plus souvent pervertis. Comme nous l’avons vu pour la médiation qui est une tentative d’emprunt aux relations sociales informelles de leurs capacités d’autorégulation par la négociation, son adoption par un système étatique répressif en change profondément la nature. Il n’est en effet pas facilement admissible pour un système étatique d’accepter de limiter son emprise centralisatrice sur un système de contrôle. Ses objectifs et caractères propres l’empêchent d’accepter populations marginales vis-à-vis de l’institution répressive qu’est le Ministère public s’étendre aux secteurs qui ont servi de modèle pour ses nouvelles attributions. Par ex emple, l’injonction thérapeutique risque de faire passer les instances médico-sociales pour des collaboratrices de la répression de l’usage de stupéfiants et donc empêcher les toxicomanes d’y recourir. Cela aurait pour effet une marginalisation encore accrue des Le dernier élément des mutations des modes de contrôle social de nos sociétés est un glissement dans les populations concernées.
ex pressément à résoudre des problèmes de petite délinquance urbaine.
présentation en commission du Sénat de l’amendement par le biais duquel la procédure accélérée a été proposée au vote des assemblées, le Gouvernement fait référence aux problèmes que rencontre la justice “tant pour des affaires graves et complex es, notamment dans le secteur financier et dans la lutte contre le crime organisé, qu’en ce qui concerne la délinquance “urbaine”, flagrante, répétitive,.”20. Or, lorsque l’on se pose la question de savoir quelles sont les populations concernées par les nouveaux instruments d’action du Ministère public, on ne peut que constater que la délinquance financière et le crime organisé sont ignorés, au “profit” de populations aisément identifiables et qui peuvent plus facilement faire l’objet de stratégies de contrôle.
Il y a donc un inquiétant glissement des préoccupations en direction d’un certain sous-prolétariat urbain.
Cet état de fait est à mettre en relation avec la thèse de la faiblesse du contrôle social dont nous relevions qu’elle est à la base des nouvelles vulnérables mais surtout dangereuses, devenues le bouc émissaire du malaise de notre société21, seront la cible privilégiée du contrôle social nouveau dont il est dit qu’il compensera la “faiblesse”22 des instruments D. Conclusions : le Ministère public comme Prozac de notre Quelle est l’économie générale du mouvement actuel? Celle d’un Ministère public devenu l’institution à tout faire de l’Etat. Créé dans le 21 M. P .Mary faisait remarquer en introduction aux travaux de l’atelier sur la “ S a t e l l i s a t i o n d e mi s s i o n s ” , c o mb i e n s a i s i s s a n t e s t l e p a r a l l è l e e n t r e c e s t h è s e s e t c e l l e s d e l ’ e x t r ê me d r o i t e , d ’ a u t a n t p l u s q u e l e u r é me r g e n c e f a i t s u i t e à l a mo n t é e s p e c t a c u l a i r e d e s s c o r e s é l e c t o r a u x d e c e s f o r ma t i o n s .
22 Faiblesse dont la réalité est douteuse quand on sait que nous avons dépassé le c h i f f r e d e 8 0 0 0 d ét e n u s e n B e l g i q u e , r e c o r d h i s t o r i q u e s ’ i l e n e s t .
cadre d’un État libéral et adapté à des stratégies de contrôle social par le pénal, il se voit aujourd’hui chargé de missions qui ne correspondent pas Par ailleurs, pressé de trouver un moyen d’apaiser le malaise social et incapable - l’est-il réellement? - d’initier un nouveau projet de société, l’Etat se recentre sur des objectifs facilement désignés. Il le fait au moyen de stratégies qui visent à prévenir la petite délinquance par le contrôle d’éléments déviants. La question qui ne se pose plus est celle des causes profondes de la hausse de la criminalité. Bien entendu, résoudre ce type de problème est éminemment plus complexe qu’une augmentation ciblée du contrôle de certaines populations.
Que l’on comprenne bien que nous ne jetons pas la pierre au Ministère public mais bien au projet politique qui sous-tend l’évolution Pris ainsi en otage, obligé d’aller de l’avant, le Ministère public devient, bien malgré lui, le Prozac d’une société dépressive. Comme ce célèbre antidépresseur, il agit sur les symptômes du malaise : le passage à l’acte délictuel, et non sur les causes profondes du mal.
Cette “justice de confort”, comme les médicaments du même type, sera peut-être efficace un temps, mais cela n’ira pas sans de sérieux dégâts humains. Sans compter les risques d’ex plosion.
Ce qui manque cruellement dans nos sociétés, et surtout dans notre système pénal, c’est la volonté de réaliser des réformes porteuse d’un sens nouveau et de l’espoir d’une société réellement meilleure. Il ne s’agirait alors plus de tenter d’augmenter le confort des personnes correctement socialisées en maîtrisant les actes des déviants, mais plutôt de s’interroger sur les causes profondes du taux de déviance et de sa forme. A l’heure de grands changements dans nos sociétés et de grandes inquiétudes face au possible démantèlement d’une infrastructure sociale complex e mais porteuse d’un projet de société, il importe de se reposer les éternelles questions du “pourquoi” avant de se demander “comment”.
Par ailleurs, le droit doit connaître ses limites. Il n’est plus possible de continuer à demander sans cesse à un système judiciaire surchargé de prendre en charge tous les problèmes de la société. D’autres procédés doivent être trouvés pour répondre aux multiples questions posées par BIBLIOGRAPHIE.23
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23 Cette bibliographie reprend les ouvrages cités ci-dessus mais également des textes d o n t l a l e c t u r e n o u s s e mb l e p a r t i c u l i è r e me n t i n t é r e s s a n t e d a n s l e c a d r e d e c e t t e é t u d e . C e s d e r n i e r s n o u s o n t i n f l u e n c é s a n s q u e n o u s p u i s s i o n s l e s c i t e r à u n e n d r o i t p r é c i s d e n o t r e RAZ, J ., The Authority of Law. Essay on Law and Morality. , - SCULL, Andrew, “Community Corrections : Panacea, Progress or Pretence? ”, The Power to Punish. Contemporary Penality and Social Analysis., D. GARLAND et P. YOUNG (dir.), London, Heinemann Educational Books, New J ersey, Humanities Press, 1983, p. 146 à 165.
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Doc.parl., Sén., S. 1992-1993, 652-1.

Source: http://www.asm-be.be/fichierpdf/ministerepublicmincke-1.pdf

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